Une vie après sa mort
Zero
tempête...
Un
drame commun
Deux
...ième drame
Trois
pistes à suivre
Quatre
générations
Cinq
boucles

Sujet: ... lis-bien ...
Date: Jeudi 12 février 1998 04:03:30 -0500
De: Jérôme
à: Silvana

C'était la journée pour récupérer les cendres. Guylaine m'a accompagné. Évènement émouvant, mais qui s'est déroulé dans une atmosphère un peu banale, administrative... Cela ne me semblait pas juste, ça ne peut pas se terminer ainsi.

Rapidement nous étions sur le chemin du retour, à ramener ses cendres à son appartement.

Enfin, je tente de prendre mon courage à deux mains. J'essaie de commencer à voir clair dans les choses. Un appartement pas très grand, mais minutieusement organisé pour avoir un espace de vie aux lignes claires, aux tons chaleureux et, somme toute, confortable. Où une pièce a la vocation d'entrepôt. Un entrepôt de tant de vieilles choses; des livres d'école primaire, du secondaire, des vêtements, des bibletos et des souvenirs y sont entassés.

Je ne sais pas combien de choses il y a là-dedans, mais ça va être long...

Commençons. Par l'évident, l'accessible. L'espace de vie. L'entrepôt dans la chambre, ce sera pour plus tard....

Je me suis dit: "Tiens, commençons par des choses qui me sont encore fraîches en tête." Ma mère avait l'habitude de conserver des catalogues pour de nombreuses années consécutives. Une fois, ouvrant les panneaux d'un meuble qui hébergeait une des enceintes acoustiques, j'avais trouvé une archive assez bien garnie de catalogues IKEA. Chaque édition depuis 1988 s'y trouvait. Il y a huit ou dix mois, je lui avais proposé de recycler ces kilos de papier.

"Ne touches-pas à ça!" trancha-t-elle
Pourquoi?
Par-ce que. Un point c'est tout.
Oui mais c'est inutile...
Non, ça me sert.
À quoi bon ? À comparer les prix de ce que tu as acheté il y a dix ans de cela ? Je ne comprends pas.
T'occupes-pas...
OK, OK...
Je ne voulais point la fatiguer plus qu'elle ne l'était. Cette épisode était typique de la communication de ma mère: un mirroir pour te laisser seul avec tes idées et te laissant incapable de voir au-delà. D'ailleurs, je me répétais mentalement la critique que j'avais formulé il y a vingt ans de cela. Ma mère ce n'est pas un bambou, c'est un chêne: ça résiste ou ça se fait déraciner... mais ça ne plie pas!

Débarasser les vieux catalogues; voilà quelque chose de facile et vite fait! Tiens! qu'est-ce qu'il y a derrière ces catalogues. Un livre. "The Illustrated Encyclopedia of Sex", publié en 1950. Un reflet des moeurs et pudeurs de l'époque? Comme premier objet, ayant potentiellement une signification, on commence bien! Ma curiosité est piqué, je m'y attarde...

Puis, une pochette de plastique transparent aux bordures rouges. Il y de vieux passeports périmés.

Un passeport américain. Il ressemble étrangement à mon premier passeport. Mais ce premier n'était qu'une illusion de ma mémoire. J'en avais un autre: celui que je viens de découvrir. Émis le 27 juin 1963. Il confirme ce que ma mère m'avait souvent raconté: j'ai voyagé avec elle à travers l'Europe (Allemagne, France, Espagne, Tchécosolvaquie) en train et à mobylette.

Un autre passport américain. Il a un graphisme que je ne reconnais pas. À qui appartient-il ? Voyons... Tiens, Catherine Elizabeth Camus. J'ai sourit: hauteur - 3'7" (environ 1m20). Cheveux blonds. Yeux bleus. Née à Niagara Falls, NY... Le 11 novembre 1952.


Je tourne la page. Un choc. La Photograph of Bearer de Catherine. Un noir et blanc avec le sujet au centre d'un cercle dont les contours se dissoudent en blanc. Tu sais, une photo comme l'on voit sur les monuments funéraires en Italie. Un gros frisson ma passe dans le dos. Une cousine ou quelqu'un de sa famille avec qui elle a coupé les ponts il y a bien longtemps...

Et ça. Qu'est-ce? L'odeur, le toucher et la couleur transpirent un âge certain.

Tiens, un livret de famille. Je sais que c'est une chose qui existe en France comme en Italie. Je me surprends de la belle calligraphie (bien, bien loin de la mienne!). Mais... c'est un mariage! Èpouse - Bernadette Pierrette Henriette Marchand, profession: dessinatrice. Née le 28 octobre 1929 à Antony. Cela confirme ce que ma mère m'avait révélé il y a douze ans: qu'elle était bien née en 1929 et non en 1939, comme elle me faisait croire depuis que j'étaits tout petit. Lorsqu'elle m'avait révélé ce mensonge, elle s'était motivée curieusement: elle disait avoir peur que je sois géné d'avoir une mère bien plus agée que celles de mes copains de classe... Si ce n'est pas un mirroir qu'elle employait, c'était l'écran de fumée... On voit des formes, il y a quelque chose-là, mais les doutes persistent et on sait que tout n'est pas révélé. J'ai toujours gobé ce mensonge, même lorsque je voyais des documents avec 1929 inscrit comme année de naissance. Elle me disait que c'était une erreur administrative. Fumée ou mirroir, j'acceptais l'explication...

Èpoux: Armand Lucien Camus. Électricien. Né le 3 septembre 1926 à Montrouge.

Contrat de mariage: néant. L'entête indique un mariage ayant eu lieu le six juillet mil neuf cent cinquante...

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Une demie-heure plus tard, au téléphone, je racontais, anesthésié par le choc, la découverte. Ma mère avait été mariée à un autre homme avant d'avoir rencontré mon père. "Tu te rends compte!" Et je n'ai jamais rien su...

Cela explique l'origine de mon nom de famille. Ma mère disait que je ne pouvais pas porter le nom de mon père à cause de son passé, et surtout celui de son père, en Tchécoslovaquie à l'aube de l'entrée des soviétiques en 1948. Sans un nom asceptisé, je n'aurais jamais pu voyager en Tchécosolvaquie... Je répliquais alors:

Mais, 'Camus', c'est ton nom de jeune fille ?
Non ... c'est un nom du côté de ma famille.
J'imaginais un nom de cousin ou de tante - par alliance à la limite. Mais, gràce à cet écran de fumée, jamais le nom d'un premier mari.

Au téléphone, un débat s'installe: "Comment ton père aurait pu accepter que tu portes le nom du premier mari de ta mère?" Très bonne question...

Puis je feuillette le livret de famille. Je commente combien il est intéressant: tant de texte consacré aux soins à porter aux enfants. Le passage le plus drôle:

Chapitre V - Sevrage. Age où l'enfant peut être sevré - Le sevrage pourra être effectué à partir du neuvième mois...

Exclamations et roulement par terre. Avec Arianna, tu as poussé la chose jusqu'au septième mois, avec un lait déjà rare. C'était devenu fatiguant pour toi. Et Arianna mangeait déjà bien d'autres choses, golument !

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Une carte postale, conservée dans le livret de famille, amène d'autres commentaires. Datée le 6 mars 1961 de Valberg (A-M), elle est signée par Magda. Se soulèvent alors des souvenirs de discussions avec ma mère. Serait-ce sa soeur ? Sa soeur, qui était son ainée de vingt ans, qui l'a élevée ? Il me semble. Mais ce n'est pas clair dans ma tête; on parlait rarement de sa famille. Si c'est vrai, alors cela veut dire qu'elle a maintenu contact avec sa famille, au moins jusqu'à ma naissance.

Je continue à feuilleter le livret de famille pour trouver d'autres anecdotes intéressantes ou qui font sourire... Arrivé à la section enfants, je vois une annotation. Annotation que j'avais vue plus tôt, mais qui n'as pas activé les bons neurones...

Enfants. 1. Camus. Prénoms: Catherine Elizabeth. Née le 11 novembre 1952 à Niagara Falls, New York (USA).

Sourires et curiosité se sont volatilisés. Le choc. Comme si j'en avais besoin d'un autre... Dans l'autre main, j'ai les passeports. Je rouvre celui de Catherine, le feuillette et tout concorde...

Le choc confirmé. C'est vrai: le premier indice m'est passé loin, mais loin, au-dessus de ma tête, alors que je ne voulais pas croire le deuxième... Mais lorsque ces documents se confirment... Le téléphone reste muet pendant que je jongle avec mes pensées. Ou alors je balbutie quelques demies-paroles, mais je ne le sais point. Je suis ailleurs, en effet...

Ma mère a eu un autre enfant. J'ai donc (eu?) une demie-soeur. L'impression première laissée par la photo du passport me donne la sensation qu'un drame a eu lieu. Mais quoi ? Mes mains tremblent. Je n'arrive pas très bien à les contrôler, malgré que ce ne soit pas une chose qui m'est étrangère, après tant d'hivers québécois dans le corps.

Un cadeau ou une dépossession ... La question est posée, les hypothèses lancées. Le débat reste bien ouvert.

Je ne sais plus quoi dire. En fait j'ai assez écrit... Je vais essayer d'aller dormir, là.

J