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Une vie après sa mort | ||||||||||
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Juste pour ne pas oublier Il y a tellement de choses. Nouvelles. Anciennes. Et ça se confond. Je n'ai pas envie d'oublier. Donc je te les rédige. La note de téléphone sera ainsi sous contrôle ! J'ai attaqué l'entrepôt aujourd'hui. Là, une mer de documents déferle. Il y a les ondées de photos. Catherine bébé. Avec une indication derrière qu'elle fut prise à Niagara Falls. Catherine sur les genoux du Père Noël. Deux ans de suite. Avec un cadre provenant du grand magasin disparu Jordan Marsh. Un endroit de Boston qui était cher à ma mère; j'avais l'impression d'y faire un pélerinage annuel. C'est là où elle faisait prendre mes photos avec le Père Noël. C'étaient des évènements qui rendaient ma mère si heureuse.
![]() Une série de photos de mon père lors de sa cérémonie de diplôme à Harvard. La pose classique, debout dans le Harvard Yard avec chapeau à coins et une corde-pinceau qui pend, le truc qui fait (sou)rire. Celle-là avait été exposée longtemps sur le vaissellier - gravée dans ma mémoire, oui. Mais le reste de la série m'était inconnue. Mon père avec ma mère. Lui avec Catherine. Confirmation du soupçon que j'ai eu hier.
Maintenant je crois comprendre pourquoi mon père ait pu accepter que je porte le nom de Camus. Ce nom y était déjà, il y avait une proximité avec Catherine et il y avait le problème de son propre nom... Mais, au fait, s'exclament deux neurones restées muettes jusque-là... est-ce que mon père et ma mère se sont mariés ? Cette constatation est ensuite submergée par une marée de lettres d'Armand Camus adressées à ma mère. Bon, trions, puis lisons en ordre chronologique - voyons si une histoire se dessine... Toutes les lettres sont assez sèches, business-like comme diraient les américains, traitant principalement de questions d'argent. Il payait cent dollars par mois de pension alimentaire. Parfois, il fait référence à des transferts à un dénommé Lu. C'est un nom qui m'est un peu familier. Je crois que c'était le beau frère de ma mère, le mari de Magda ? J'en suis pas certain, mais je crois... elle me disait bien que j'avais un oncle chinois... Ma mère annotait ces lettres. Des traits soulignent des passages importants. Parfois quelques mots occupent les marges. À l'occasion, un petit billet se rajoute à la lettre. Non, elle n'est pas brochée, elle y est simplement jointe. Ce qui fait que je ne sais pas quand ils ont été écrits. Ça fait mal: l'amertume transpire les feuillets. Des passages me glacent. Elle trouve Armand froid. Ma mère m'a trouvé froid à bien des moments dans ma vie. C'est vrai, je n'avais pas une bonne relation avec. Comme son monde et le mien se sont longtemps rassemblés dans les mêmes murs, c'est normal que le feu pète. Ou que je développe mes mécanismes de défense, ignorer les écrans de fumée par exemple. C'est quand même un autre quart de tour du fer dans la plaie, qu'elle a réussi à actionner sans même être là. Ces lettres sont toutes adresseées en France; elles couvrent une période de 1958 à 1960. Peu de missives donnent des informations intéressantes. Catherine n'est pas très présente dans les lettres. C'est vrai, cela me dérange... Les adresses de retour des lettres d'Armand n'ont pas évoqué grand intérêt chez moi. Mais je n'avais pas regardé toutes les addresses-retour. En effet, Brookline, c'était son addresse en 1959-60. Mais pour 1958-59, l'adresse de retour était Bigelow street à Cambridge. Ceci me sidèré pour plusieurs raisons. Ma mère, dès 1961, habitait 281 Harvard street, au coin de Bigelow street. Un ami de ma mère était propriétaire de plusieurs immeubles. Deux sur Bigelow, un sur Inman (la rue suivante et parallèle à Bigelow) et gérait une autre propriété à Brookline. Encore une coincidence à élucider... Voilà. Assez de poussière soulevée pour aujourd'hui. L'ironie est que malgré la poussière, ce sont tous de nouveaux documents pour moi. Je t'embrasse, Jérôme |