Une vie après sa mort | |||||||||
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Je sais que tu es à la montagne et que les enfants te tiennent bien occupés. Mais j'ai besoin de parler. Après ma dernière lettre, maman a peu parlé, mais elle comprenait tout, clairement. Je crois qu'elle se rendait compte qu'elle ne pouvait plus déplacer ses jambes... Hier, c'était le délire. Je rentre dans sa chambre d'hôpital. Je la salue et tente de l'embrasser. Mais, plutôt, elle me saisit les mains. Elle est vive comme un aigle. Elle me fusille du regard et me dit: "J'ai envie de te gifler". Ohhhh... Je suis sonné: c'est inattendu. Enfin, l'histoire se révèle. Elle me reproche d'avoir été avec les espagnols... Qui ont fini par rentrer à la maison. Quoi?Je joue le jeu. J'ouvre la porte de la salle de bains et montre qu'il n'y a personne. Elle me demande:Je te l'avais pourtant bien interdit.Qu-quoi?Mais regardes bien, ils sont là cachés derrière la porte de la salle de bains. Regardes-bien là, derrière le rideauJe vois qu'elle est lucide sur les éléments de son environnement immédiat. Mais le reste me laisse perplexe:Voilà. Personne. Ah.. es-tu certain? Tu sais, il ne faut pas se fier à eux. Ce sont des drogués.Je me rends compte que rien n'est imaginaire. Tout concorde; il s'agissait de faire le lien. Elle mélange sa vie d'aujourd'hui avec un épisode de 1967-1968 - une époque où je me suis rendu compte qu'elle avait aussi ses problèmes, des tourments. J'avoue avoir eu peur que les dernières paroles de maman fussent des reproches vieux de trente ans...mmmmh...?Oui, oui. Je t'assure. D'ailleurs c'est pour cela qu'ils nous ont volés. Ils cherchaient de l'argent et des choses à revendre. Ils ne travaillent pas, alors comment veux-tu qu'ils achètent leur drogue.En effet...Je ne comprends pas, je t'avais pourtant bien dit de ne pas traîner avec eux. Que cela finirait mal...Ouais, bon...Et bah, oui! Cela c'est mal terminé. Tu as trouvé un moyen pour les laisser rentrer, et maintenant nous avons tout perdu. Il y a l'argent bien sûr, mais il a pire... les antiquités chinoises de ma famille... J'ai envie de te gifler!
À mon tour, j'ai perdu le nord... J'ai dû aller me promener une dizaine de fois pour me changer les idées. Je ne sais plus trop ce qui s'est passé par la suite.
Aujourd'hui, c'est le retour au calme. Il y a un timide retour de sa parole. Tu sais, ces derniers jours, j'ai d'étranges pensées. Mardi, je marchais à travers le parc du Mont-Royal en me rendant à l'hopital. Je voulais me promener dans ce lieu vidé de son âme par la fameuse tempête de verglas, pour mieux sentir mon vide. Le parc est tellement grand, que même entouré pas la ville, on ne la sent pas... Déserté, impraticable, figé par le mois de février et rempli que de blessures... le refuge idéal. Paradoxalement, j'aurais tellement voulu avoir un frangin pour partager ces moments, pour pouvoir apporter plus à ce départ.
Mercredi, dans l'autobus, par une autre journée mordante et resplendissante, je poussais le raisonnement. J'ai un peu oublié tout ça en arrivant à l'hopital où j'ai paniqué. Maintenant, cela me revient. Cela aurait été tellement mieux si Bernadette aurait pu s'appuyer sur plus d'un enfant ces dernières années. Les reproches et les rancoeurs auraient été dissoutes par la présence de l'autre et, au contraire, elle aurait pu s'accrocher aux choses positives... Quelque part, j'ai échoué quelque chose... J |