Une vie après sa mort | |||||||||
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Je ne sais plus comment qualifier cette journée. Comme tu sais, maman et moi voulions lui faire passer des tests de sang, pour savoir si ma translocation génétique vient d'elle. Mais maman, dans son système de communication, n'a jamais poussé la chose. Depuis qu'elle est hospitalisée, je voyais combien elle souffrait les piqures; je rechignais à lui en faire subir une nième. Les cancéreux ont déjà les veines assez difficiles à trouver... Mais ce matin, je voulais fermer ce chapitre. Hier, son médecin traitant m'avait donné son prognostique: "On ne sait pas. Peut être un jour, une semaine, un mois... Le corps humain est surprenant; il peut aller tellement loin sans alimentation". Maman étant sous sédatif, je me suis dit que l'on pouvait lui faire ces examens. Je suis arrivé tôt à l'hopital, mais juste après le départ du médecin de garde. Les infirmières, en comprenant l'histoire, se sont mises à le chercher. Il m'a rappelé et a indiqué qu'il connaissait mal ces examens-là, qu'il vaudrait mieux consulter le médecin de permanence le lendemain matin. Soit... Un journée incolore. Ou plutôt jaune et insipide. Maman ne parle pas. Je ne sais pas si elle se rend compte que j'y suis. Je suis à son chevet, sans sentir le temps s'effacer. Vers 15h, elle dit une parole, la seule de la journée: Maman. Ensuite une respiration rauque, sèche... Tu sais, comme le bruit de l'inspiration dans le détendeur quand on s'approche du fond de bouteille. Cela s'accentue et je sens la souffrance. Vérification faite auprès des infirmières, elle lui donnent une dose supplémentaire d'anti-douleurs. Moi? je ne sens rien. À 15h30, une infirmière, la première qui s'est occupée de maman, m'a invité prendre un café. Est-ce que vous vous êtes parlés ?Ensuite je l'ai questionnée sur son métier. Métier que je ne comprenais pas, que je ne voyais pas comment l'on pourrait y vivre, y survivre, y voir du positif... Un peu de ma cécité s'est ainsi évaporée.Qu'est-ce que tu veux dire ?Et bien, selon moi, ta mère va partir dans les prochaines vingt-quatre heures. Est-ce que vous vous êtes parlés ? Des choses, que vous regretteriez par la suite n'avoir pas dit?Non... mais qu'est-ce qui te fait dire ça qu'elle va partir dans les vingt-quatre heures.On voit la vie partir. Lentement. Perte de motricité. Puis les jambes ne bougent plus toutes seules. D'autres choses comme cela. La vie - l'énergie - part. Lentement....Vous ne vous êtes pas parlés...Non. Notre relation n'était pas des meilleures. J'ai essayé en janvier; j'ai senti qu'elle voulait dire quelque chose. Je lui ai demandé si elle voulait régler des choses... mais rien. Elle m'a seulement dit qu'il y en avait tellement.Et bien parles-y. Maintenant. Tu n'as plus beaucoup de chances...... mais elle ne peut plus parler...Peut-être qu'elle ne peut pas parler, mais elle pourrait t'entendre. Personne ne le sait pour sûr......hmm... merci... À 15h55, je parle à maman. Je lui dit trois choses. C'est spontané. Mais clair... et facile à dire au fond. Puis, inquiété pour les tests, je cours auprès des infirmières pour qu'on lui fasse les prélèvements. Elles recherchent le médecin de garde pour comprendre quel genre de prélèvement il s'agit... Cinq minutes plus tard, encore un respiration de fond de bouteille, mais plus rauque encore. Douleur? Si? Non? Je consulte de nouveau les infirmières. Une nouvelle dose est administrée. Le calme revient sur le visage de maman. À 16h26, je suis assis sur la commode et je fixe béatement le plancher, sans vraiment le voir. Je ressens tout à coup un flux d'énergie qui descend mon torse - de la base du cou au plexus solaire. Du plexus solaire, il y a déviation et je sens ce flux sortir de moi. En tandem avec le flux, je lève les yeux et retrouve le visage de ma mère en paix. Je ne vois pas de raison de brusquer les choses. J'observe. Je tente de voir si il y a effectivement respiration. Non, il ne me semble pas que les draps bougent. Je m'approche. Je ne sens aucune respiration à son nez, ni à sa bouche. Je reste là. J'observe. C'est la première fois que je suis face à un trépassé. Je n'aurais jamais cru avoir une réaction aussi calme et posée. Je prends mon temps. Cinq minutes plus tard, serein, je sors voir les infirmières. Elles sont en réunion pour le changement de quart de travail. En me voyant, la moitié d'entre-elles se retournent. La responsable me demande s'il y a quelque chose. C'est pas mon domaine, mais je crois qu'elle a arrêté de respirer.À quatre, elles viennent confirmer. L'infirmière responsable cherche de nouveau le médecin de garde. Il est trop tard. Le sang, coagulant déjà, pourrait fausser les résultats... Je perds une trace du lien de filiation avec le lien même... J'ai besoin de te parler... J |