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Une vie après sa mort | ||||||||||
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Jan 5, 1996 Ma chère petite fille Marion, Merci pour ta lettre du 25 novembre 1995 qui, probablement, a été retardée par les grèves en France. Avec la télévision nous sommes au courant des faits importants à Paris et aux alentours. Avant de répondre à tes questions, je veux expliquer la photo jointe. Debout et à l'arrière et de gauche a droite: ton grand-père Armand Camus et sa femme Dorothy, et Robin (Camus) Chadwick, qui est notre fille de 33 ans. Sur le premier rang, de la gauche, Théodore Camus, notre fils à 28 ans, ensuite Mark Camus, notre premier enfant de bientôt 35 ans. Alden Chadwick est le mari de notre fille Robin, et il tient sur ses genoux son fils Brandon, qui aura bientôt 4 ans, et sa fille Meaghan, qui aura 8 ans dans quelques mois. La photo a été prise à la fin novembre 1995, dans notre living-room. Nos deux fils ne sont pas encore mariés. Dans ta dernière lettre tu écris que je suis géné et que je n'ose pas écrire des choses très personelles. Tu es très sensitive, comme généralement le sont les femmes, à l'opposé des hommes. La raison que je l'ai fait est que je ne savais pas combien de choses ta maman t'a dit à mon ou à son sujet, et je ne voulais pas écrire des choses qu'elle ne voudrais pas que tu saches. Comme tu es au courant de ma vie, je peux maintenant tâcher de te donner quelques détails. Je suis né à Montrouge (département de la Seine) en Septembre 1926, le fils de Alfred Eugène Camus et de Armande Célestine Plante. J'ai vécu dans cette ville pendant 24 ans, passant une existance régulière dans ma jeunesse. Mon père travaillait dans une compagnie électrique L'Est Lumière, à Arcueil près de chez nous, et ma mère s'occupait de moi à la maison. Chaque année nous allions en vacances, souvent au bord de la mer, et j'ai vu bien des coins y compris la ville de Cannes, où ta photo a été prise. J'ai obtenu mon certificat d'études à 12 ans, mon brevet à 16 ans, et après je suis entré dans une école professionnelle à Paris nommée Diderot, où j'ai appris les rudiments de la mécanique, l'algèbre et la géométrie plus avancées et la physique, électricité... sujets qui m'ont aidé beaucoup plus tard dans ma vie. J'ai passé mon examen final, juste avant mes 20 ans. À l'âge de 8 ans j'ai commencé la musique, d'abord le solfège pendant deux ans, et ensuite la clarinette jusqu'à 18 ans, quand j'ai commencé le saxophone, cette combinaison me permettant de jouer avec un orchestre de dance, souvent jouant toute la nuit de samedi soir à dimanche matin. Naturellement j'étais payé pour cela. En fait, durant la guerre, l'orchestre avait joué pour une compagnie laitière, et nous avons été payé avec du beurre. C'était le moment des rationnements et le beurre était le bienvenu! En France et en 1946, les jeunes hommes allaient au service militaire à l'âge de 20 ans, ce qui m'est aussi arrivé. J'ai donc passé un an à Orleans, n'apprenant pas grand chose mais prêt à servir ma patrie. En 1947, libre du service militaire, j'ai trouvé un travail au Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris. Le Conservatoire comprend un musée et une école du soir pour ceux ou celles qui travaillent le jour. Le laboratoire où j'étais enseignait l'électronique et les techniques du vide, et je préparais des experimentations pour les étudiants. Je suis resté là pendant 4 ans. J'ai appris beaucoup de choses utiles pendant ces années qui m'ont aidé beaucoup plus tard dans ma vie. Après ces 4 ans, j'ai passé un an dans une autre compagnie à Montrouge, et ensuite j'ai travaillé aux États-Unis. Je simplifie mais reviendrait sur ces sujets plus tard. Quand je suis revenu du service militaire, à l'âge de 21 ans, j'ai commencé à travailler au Conservatoire, mais chaque jeudi soir je suis aussi retourné jouant ma clarinette avec d'autres Montrougiens juste pour le plaisir, Cela n'avait rien à faire avec l'orchestre de dance. La ville de Montrouge nous laissait utiliser une large salle pour nos répétitions. En échange, cet orchestre donnait des concerts pendant l'été à différentes places de la ville. Il y avait aussi un choeur, comprenant hommes et femmes qui répétaient au même endroit mais à un jour différent. Quelques fois les conducteurs de l'orchestre et du choeur choississaient une pièce de musique pour chant et instruments, et nous aurions des répétitions ensemble. C'est là que j'ai rencontré plus tard, une jeune fille qui faisait partie du choeur, du nom de Bernadette Marchand. Nous sommes sortis ensemble et nous nous entendions bien, et plus tard nous avons décidé de nous marier.
Mon père était mort en 1943, le résultat d'une opération où probablement trop d'éther avait été usé, me laissant avec ma mère qui ne pensait qu'à moi. Je ne me sentais pas trop libre et voulait voler de mes propres ailes comme le dit l'expression. De son coté, Bernadette avait été laissée très jeune par sa mère avec un couple qui l'ont élevée. Nous avons été mariés en juillet 1950. Ce qui a décidé notre mariage était que nous avions trouvé une pièce dans un hotel à Montrouge. Cette pièce avait à peu près 2,5 par 3 metres, et contenait un minimum d'équipement. Les WC étaient sur le même etage. À cette epoque, il y avait une pénurie de logements en France, parce que le gouvernement controllait les prix des loyers (la rente controllée). Le résultat était que les personnes avec beaucoup d'argent n'allaient pas bâtir des immeubles, mais placer ces capitaux dans des affaires qui rapporteraient plus de bénéfices. Le seul moyen d'obtenir un appartement était de graisser la patte d'un gérant d'immeubles (en-dessous la table), et ma mère nous avait dit qu'elle le ferait, mais quand nous avons trouvé quelque chose, ce gérant voulait trop d'argent. Durant cette période, je travaillais à Montrouge et aussi étudiais l'anglais dans un école Berlitz près de l'Opera, à cause de mon travail où beaucoup d'articles techniques étaient en anglais. Par chance, il y avait un couple américain habitant en face de nous, de l'autre coté de la rue. Nous nous sommes rencontrés et devenus amis, eux apprenant le français, et moi l'anglais. Après quelque temps et voyant notre très petite pièce, ils nous ont dit qu'en Amérique, il y avait beaucoup de logements à louer. À ce moment-là, ma mère ne voulant pas payer une somme exorbitante, et nous attendant un bébé, nous avons décidé de prendre notre chance et d'appliquer pour un visa aux États-unis. Par chance, j'avais étudié les techniques du vide au Conservatoire, et quand nous avons appliqué pour un permis d'entrée, il a été accordé, à cause de mon experience. Ce qui veut dire que nous ne serions pas à la charge du gouvernement, nous serions capable de gagner assez d'argent pour subsister. Nous avons obtenu nos permis d'entrée, et à la fin septembre 1952 nous étions en route, par mer, pour les États-Unis. Nos amis américains de France étaient là pour nous accueillir et nous aider à s'acclimater à une autre façon de vivre. Mon premier travail était celui d'un simple ouvrier, travaillant de longues heures, pour une petite paie. Durant cette période notre fille Catherine est née, dans la ville de Niagara Falls (les chutes de Niagara), le 11 novembre 1952. Les mois ont ainsi passés, moi travaillant et Bernadette prenant soin de Catherine. Après presque un an à ce travail, et ayant appris un peu plus d'anglais il était temps pour moi de changer mon travail et de gagner un peu plus d'argent. J'ai écris à plusieurs compagnies et une d'elles appelée ADL m'a demandé de venir et de parler avec moi. J'étais accepté à la fin du jour. Mon travail était le même que j'avais fait en France. Il faut expliquer que les techniques du vide, qui consistent à chercher les plus petites fuites dans une pièce d'équipement, ne s'apprènent pas en lisant des livres, mais par expérience, ce que j'avais. ADL est établie dans la ville de Cambridge, dans l'état du Massachusetts ce qui a nécessité un déménagement, mais nous n'avions pas grand chose au début et le déménagement n'était pas trop difficile. J'ai commencé là en Octobre 1953. Au début, il y avait beacoup d'heures supplémentaires. L'argent était le bienvenu mais je réalisais qu'il faudrait retourner à l'école du soir, soit pour apprendre en anglais ce que je savais déjà en français, ou pour me mettre au courant des nouvelles techniques électroniques, commes les transisteurs, qui ne sont plus utilisés, ainsi que le sont bien des choses dans le domaine électrique. Les cours du soir étaient trois fois par semaine, deux heures chaque, avec des devoirs à préparer pour la fois prochaine, De son côté, Bernadette s'occupait de Catherine, mais le temps était terriblement lent pour elle. Au début, elle ne connaissait pas l'anglais, et il n'y avait pas beaucoup de femmes françaises avec qui elle aurait pu parler. Moi-même j'étais très occupé avec mon métier et mon école. Après quelques années, elle ne voulait plus de cette vie, bien que son anglais soit très amélioré. Elle ne s'était pas habituée à la vie américaine et en fait ne s'y plaisait pas. C'est à ce moment qu'elle a parlé de divorce, et moi-même j'ai pensé qu'elle avait raison. Il n'y avait aucune acrimonie entre nous, juste la triste réalisation que les choses n'avaient pas été ce que nous espérions. Comme elle n'avait pas de metier, je lui avais dit que je m'occuperais d'elle et de Catherine financièrement, jusqu'au moment où elle aurait un métier, ce que j'ai fait. Le divorce a été prononcé en janvier 1957, et il est devenu définitif en juillet de la même année. En Amérique, c'est la mère qui en general a la garde d'un enfant. Le père, naturellement, doit payer une certaine somme d'argent pour l'entretien de l'enfant. En fait, la mère gardienne peut faire ce qu'elle veut avec l'enfant. Vers septembre 1958, Bernadette décida de faire une visite en France, emmenant Catherine, mais avec l'intention de retourner. Je connaissais ses intentions et je n'avais pas d'objection. Elle est retournée plus tard que je croyais, en septembre 1960, mais sans Catherine, qui avait été placée dans une institution scolaire religieuse à Malakoff, tout près de ma mère qui vivait à Montrouge, et qui pouvait la visiter et l'avoir les samedis et dimanches. Je pense que cette école avait été choisie pour cette raison. Éventuellement j'ai rencontré une jeune fille qui travaillait dans la même compagnie que moi, du nom de Dorothy, et nous nous entendions bien. Notre mariage was celebrated en juillet 1959. En 1961, nous avons acheté une maison à Westford, avec un créance de 25 ans, naturellement, et nous y sommes encore a ce jour. Je me rapelle que Bernadette est partie en France, et durant l'été de 1963 a emmené Catherine pour un voyage en Espagne. Après ce voyage, elle a laissé Catherine à la même pension, sachant que ma mère serait tout près. À ce moment là Bernadette avait encore la tutelle de Catherine et par la loi, je ne pouvais rien faire. Les religieuses de l'école ne recevaient pas le paiements pour la pension bien que j'envoyais l'argent régulièrement dans un compte en banque qu'elle avait indiqué. J'aidais ma mère, naturellement, de mon mieux, mais après quelques temps la situation m'a forcé d'aller aux tribunaux et de demander un changement de la tutelle. Je l'ai obtenu et au moins les notes de pension étaient payées. Probablement une des raisons que j'ai obtenu la tutelle était que Bernadette n'est même pas venue à la session du tribunal, bien que prévenue par huissier. À ce moment-là elle vivait à Cambridge et elle avait reçu les papiers officiels dans sa propre main. La question que se posait était de savoir quoi serait le mieux pour Catherine. Dans quelques mois, elle aurait 16 ans, et comme je lui écrivais, je savais qu'elle voulait entrer dans une école de dessin industriel, Le choix était de la laisser en France, avec ma mère, qui lui donnait un logis et nourriture, et l'aimait beaucoup, ou de la prendre et de l'emmener en Amerique vivre avec nous. Le deuxième choix n'était pas pratique, Les enfants ici vont à l'école de 6 ans à 18 ans, ce qui voudrait dire qu'elle aurait manqué, à l'âge de 16 ans, 10 ans d'études en anglais. D'ailleurs, ta maman m'avait écrit qu'elle préférerait rester en France et y recevoir ses diplômes, dans un lettre de janvier 1968. En fait, en septembre 1968, elle est entrée à l'E.P.D.I. comme elle le voulait. Cette longue lettre répondra, je l'espère, à quelques-unes de tes questions. Elle te donne un aperçu de ma vie, et dans une autre lettre je parlerai de mon métier, et j'essaierai d'envoyer des photos de tes ancêtres. Cela peut demander du temps, mais je n'oublierais pas. Une de tes questions me demande l'adresse de ta grand-mère, et je suis sûr que tu parles de la mère de ta mère, c'est à dire ta grand-mère naturelle. La réponse est simple: je ne le sais pas. Je veux ajouter que, pour être franc, je ne la donnerais pas même si je la connaissais, car si elle a choisie de ne pas demander, ou de ne pas écrire, je veux respecter sa decision. D'ailleurs, je n'ai rien entendu d'elle pour plus de 25 ans. Après que la tutelle avait été changée à mon nom, il y avait eu un grand froid de sa part, car l'argent que j'avais payé pour Catherine était maintenant donné à ma mère. Pour quelque raison, j'avais à lui causer au téléphone, et elle a indiqué qu'elle ne voulait pas entendre parler de moi. J'ai compris et je n'ai jamais essayé de savoir où elle était. Ma conjecture est qu'elle est retournée en France, car elle a toujours dit qu'elle n'aimait pas l'Amérique. Nous espérons que vous avez tous passé un bon Noël et un bon Jour de l'An. Meilleurs baisers de nous tous. Ton grand-père, Armand Camus |