Une vie après sa mort
Zero
tempête...
Un
drame commun
Deux
...ième drame
Trois
pistes à suivre
Quatre
générations
Cinq
boucles

Sujet: Nouvelles... mais vraiment nouvelles!
Date: Lundi 12 octobre 00:43:25 1998 +0100
De: Jerôme
à: Silvana

Comme il est très tard et que demain matin je prends l'avion assez tôt, je ne sais pas si je te trouverai au téléphone. Nous venons juste de revenir de la maison de campagne de la famille Monnoyeur; celle des photos et des diapos que nous a montrés maman quand elle est venue pour la naissance d'Arianna... Et bien, cela culmine une grosse fin de semaine...

La maison se trouve dans un endroit qui s'apelle La Croix St. Jérôme. Non, non, je n'invente pas... Catherine ayant rétabli le contact avec Josée, fille de Magda, et Guy, mari de Josée, nous leur avons rendu visite.

Ce lieu plaisait beaucoup à maman. Quelques photos, surtout un petit pont que j'ai tout de suite remarqué en arrivant, documentaient cet endroit. Elle y avait été heureuse et elle y avait retrouvé un peu de paix avec mon père...

En arrivant, Josée et Guy se trompent un peu...Ils appellent Catherine Bernadette, et moi Paul ! (Catherine m'avait avisé de ma ressemblance avec mon père... elle a plutôt la confirmation de sa ressemblance avec maman!)

À peine cinq minutes après notre arrivée, je dois me pincer. Je me penche vers Marion pour lui dire que là c'est vrai. Tout est vrai. Tout concorde vraiment. Catherine parle avec Guy, Josée et leur fille Nathalie, comme s'il s'étaient quittés il y a à peine une heure. Pourtant, ça fait 20 ans que Catherine s'est isolée un peu dans son coin.

Guy Sénéchal était voisin de Bernadette à la cité Bardoux. Une impasse avec quatre maisons de chaque coté et deux au fond. Celle qui était propriété des Sénéchal était au fond à gauche. Celle que louait les Monnoyeur, la troisième à gauche. Depuis, la rue entière a été remplacée par un Monoprix (y'est tombé une bombe su'a rue principale depuis qu'y ont construit.... le centre d'achats!)...

Les Monnoyeur, Joseph et Geneviève, avaient trois filles: Francine, Magda et Marie-Louise. Josée est un des quatre enfants de Magda, comme identifiés dans la lettre de Magda de 1963.

J'avais des photos et elles ont plu. Même que la photo plus vielle que j'avais représentait Geneviève Monnoyeur. Pour Nathalie, c'était la première photo de son arrière-grand -mère qu'elle voyait ! Catherine et moi avons cru que l'autre personne était Joseph, mais Josée et Guy ne l'ont pas reconnu. Dommage, cela aurait été drôle avoir le couple dans la photo.

Ils n'étaient pas riches. Mais apparemment avec un grand coeur. J'ai su, par l'entremise de Francine, que Geneviève avait pris des nourissons en charge probablement pour générer quelques sous. Il y avait eu Bernadette et un garçon Michel. Ce dernier, encore en vie, parle souvent de Bernadette. Je me demande si maman avait su...

Mieux encore, Francine à réussi à nous éclairer... 'Éclairer'... c'est peu dire. Au téléphone avec Catherine, elle disait que Bernadette était une bonne à tout faire chez Pierre Monnoyeur, frère de Joseph Monnoyeur: cuisine, ménage... Et que Bernadette avait abandonné son bébé. En fait, Francine se serait confondue; le personnage en question s'agirait alors de Henriette Marchand. Pierre, aux dires de Josée, était un, en bon québécois, patenteux, habitant avec une mulâtre... de quoi choquer les moeurs de l'époque. Mais aussi un escroc, ou aux dires de Francine, un gangster. Il semble qu'il faisait des choses pas très catholiques...

Il semblerait que Henriette venait et laissait Bernadette en pension. Mais après quelques temps, elle a disparu et arrêté de payer la pension...

Tous se connaissaient à la cité Bardoux: les parents faisaient balconville et les enfants jouaient ensemble dans l'impasse. J'ai trop souvent entendu le prénom de Guy pour ne pas comprendre que c'était un bon compagnon de jeunesse. Guy nous relate même un de leurs grands coups. Pendant la guerre, donc vers l'âge de 12-13 ans, avec la dépense bien vide, leurs parents se sont résignés à les envoyer quêter quelque chose chez les allemands, à la kommandantur. Guy et Bernadette, avec des sacs vides à la main, se présentent à la kommandantur avec une barrière linguistique, chez l'ennemi, le ventre vide... ou presque. Le ventre contenait certainement une grosse boule de peur à l'instant. Figés ils réussisent à faire comprendre qu'ils voulaient des vivres. Le commandant saisissant les propos les accompagne dans une autre salle. Des tapes sur l'épaule comme si c'étaient des amis. Puis ils étaient présentés, tour à tour, à un allemand. Un leur donnait de l'huile, un autre le café, un autre le sucre, etc... Les enfants sont rentrés, les sacs pleins de vivres, le coeur de fierté et le menton bien haut. Guy aurait voulu se remémorer cela avec Bernadette...

Autre histoire savoureuse. Geneviève Monnoyeur a eu sa période de contrabandière! Pendant la guerre, pour arriver à faire vivre la famille, cette femme, petite de stature, allait à la campagne avec des grosses valises vides, négociait avec les fermiers et rentrait sur Paris, passait les barrages allemands et renflouait sa dépense et les autres de la cité Bardoux. Il semble qu'elle était le personnage fort et courageux de la famille.

C'était la vraie pauvreté pendant la guerre. Cela n'a pas empêché les Monnoyeur d'héberger des juifs pendant la guerre. Maman ne m'avait pas mentie à ce sujet. Guy se rappellait des noms de famille de deux d'entre elles, celles qui y étaient restées le plus longtemps, à ne sortir prendre l'air que la nuit. À être, en toute part, représentés par les Monnoyeur. Donc les Sénéchal étaient au courant, vu que Guy s'en rappelle aussi clairement. Les Sénéchal ne pouvaient pas être les seuls au courant à la cité Bardoux... Et si personne ne fut pris, tous savaient: mais l'omertà régnait...

Par contre, que maman me dise qu'elle avait vu comme des lingots d'or cachés dans de la literie d'un tirroir, qu'elle se soit fait grondée par sa mère (Geneviève)... cela semble de la pure fantaisie à Guy et Josée. "De l'or? Alors que les Monnoyeur étaient bien pauvres..."

Cela m'a rappelé combien je suis ingénu... Je me disais que ma mère était bien alerte aux faits de la guerre, pour une enfant de trois ou quatre ans. Petite erreur de calcul... que je n'ai jamais soupçonnée !

Les Monnoyeur étaient parfois exaspérés avec Bernadette. Elle mentait souvent - pour un rien, comme pour quelque chose. Guy ajoute même qu'elle était difficile à sonder, très réservée. Il voyait qu'elle n'allait pas bien, lui demandait ce qui n'allait pas et se faisait dire: "rien, rien..." Oui, je connais cette personne. Je la connais bien.

Ils ont été particulièrement choqués par son attitude à la mort de Joseph. Alors que la chambre de maman était sur le même palier, elle regardait droit devant elle quand elle passait la porte de la chambre de son père, alors qu'il gisait sur son lit de mort. Cela m'a dérangé car maman avait surtout des souvenirs de son père et de Magda; ces souvenirs me semblaient bons...

Ce qui déboussolle vraiment est d'apprendre que les Monnoyeur n'ont rien su de son mariage! "Elle s'est en allée dans son coin se marier, sans rien dire". Cela explique pourquoi il n'y avait personne de la famille Monnoyeur dans les photos de marriage, un détail que Catherine n'a noté que lorsqu'on a regardé ensemble ses archives le mois dernier...

Enfin, c'est confirmé, les ponts n'ont pas été rompu par les Monnoyeur, mais bien par maman. Et Paul n'en semblait pas nécessairement la cause, même si Magda en grande soeur, voire mère, de Bernadette aurait bien pu lui souligner que son âge, supérieur de sept ans à celui de Paul, pouvait constituer un obstacle. Guy et Josée n'auraient pas abandonné Bernadette si elle avait voulu reprendre contact. Ce n'est pas leur genre. L'expérience de Catherine auprès de cette famille à la fin des annés 50 et dans les années 60 concordent. Mon sentiment, après cette journée, concorde aussi...

...

Après cette longue journée, en rentrant chez Catherine, nous trouvons l'énergie pour regarder des documents à nouveau. L'acte de naissance de Henriette apporte des faits intéressants. Moi j'ai accroché sur le fait que son père avait trente ans de plus que sa mère, et qu'il n'était pas présent à la naissance (ce qui est logique avec le fait qu'il se déclarait journalier). Je ne crois pas que ce soit le père de Henriette. Catherine note que le témoin qui a rapporté la naissance était un voisin. Prenommé Henri. Henri, Henriette... Pour elle, c'est lui notre arrière-grand père.

Ensuite, Catherine me demande de ressortir les photos. Celle de Geneviève et les planches contacts, une série de photos que Maman s'était faite faire en 1996, pour que l'on se rappelle d'elle en belles images. Catherine avait noté une certain air... Mais juste à peu près ! Les deux personnes ont le même âge dans leurs photos respectives et tout (sauf peut être les oreilles, cachées par les cheveux de maman) est identique - sourire, yeux, front, nez, machoire...

"Ce ne serait pas son père ?".

C'est bien quelqu'un qui connaissait Geneviève. Ils sont assis à l'église, en position informelle; la cérémonie n'est pas en cours. En avant plan, on décèle une figure gantée de blanc. Une Communion... Peu à peu, des neurones se mettent à se parler. Père. Proximité. Connais la famille. Henriette qui travaillait chez l'oncle. Henriette qui laisse Bernadette chez les Monnoyeur... Pierre !