Une vie après sa mort
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Sujet: Chez Catherine
Date: Lundi 14 septembre 1998 22:15:05 +0100
De: Jérôme
à: Guylaine

Comme tu as voulu savoir, voici un peu ce qui s'est passé.

En m'y rendant en train, je n'étais pas nerveux. Je ne l'avais pas été jusque-là; c'était une forme d'auto-contrôle. Même dans le train, je lisais le journal (peut-être pour me distraire). J'ai simplement tenté de me récapituler pourquoi j'étais là: pour moi, mais aussi pour elle. Ce ne serait pas une rencontre qui resterait sans suite; je ne disparaîterai pas le lendemain comme l'ont fait ses parents. Mais à l'arrivée du train en gare, l'adrénaline s'est tout de même mise à pomper.

Je ne m'étais pas rendu compte que je n'avais pas d'attentes. Je ne m'étais pas fait d'idée sur ce qu'elle aurait l'air, sur comment la journée se déroulerait. La vivre tout simplement...

En descendant du train, il y avait trois femmes, dont deux blondes. Je cherchais en effet une blonde, vu les photos de Catherine jeune que j'avais en main. Le première ne me semblait pas la bonne, la deuxième par contre... ça pourrait être elle. Mais non, elle détourne le regard vers un autre voyageur. C'est donc la troisième. Catherine, avec le temps, est devenue châtaine. Depuis quelques temps, elles s'est teinte rousse. J'étais déjoué!

C'est le moment pour une première surprise. Tout le centre de son visage, du nez au menton, est identique à ma mère. Je ne m'attendais pas à retrouver des traces de ma mère en elle. Mais que je suis bête, notre mère! Voilà une phrase qui nous prendera un peu de temps à pouvoir dire, à pouvoir s'y habituer.

Par une journée venteuse et pluvieuse, nous nous sommes installés dans sa voiture. Nous avons parlé pendant plus d'une heure, là dans le parking de la gare SNCF. Catherine avait des choses à dire, à entendre, qui ne seraient qu'à elle, qu'elle ne voulait pas partager immédiatement avec ses enfants.

Une deuxième, puis une troisième surprise s'enchaînent. Des expressions, des tournures de phrases bien identiques à celles que disaient... sa mère. Même que, au courant de l'après-midi, Catherine note dans une lettre de mes - de nos - archives une passage qu'elle avait dit le matin même, au parking...

Tout ça c'est un peu insolite...

Quand j'arrive chez elle, je rencontre Marion et Benjamin. Ça me prend peu de temps pour voir que Catherine a réussi a élever une famille où les enfants y sont bien soudés. Un peu le souhait que je m'étais formulé. Je suis bien heureux de cela et je lui ai fait savoir, lorsque cette journée s'est terminée - vers 3h30 du matin!

Benjamin est comme je l'aurai été à son âge. Reservé. Marion est plutôt sensible; à plus d'une occasion, j'ai vu ses yeux devenir bien rouges et humides. Cette question lui est bien importante...

Pour l'histoire, maman a maintenu un peu de contact avec Catherine après 1963. Catherine a plusieurs correspondances dans ses archives, conservées dans sa valise en carton qu'elle avait au cours de sa traversée de 1958.

Le tout s'est arrêté en 1967. Curieusement, la dernière correspondance parle d'avenir. L'éducation de Catherine est en jeu. Certes elle a retrouvé ces documents chez sa grand-mère, mais elle croit que la mère supérieure du pensionnat lui en ait caché le contenu.

En 1967, peu après l'exequatur du jugement de divorce américain de 1957, un autre évènement a lieu. Une cause juridique, où maman ne s'est pas présentée (un nième problème juridique qu'elle a su mal gérer), modifie la garde de Catherine. Elle passe juridiquement sous le contrôle de son père, mais dans les faits de sa grand-mère paternelle. Catherine aurait aimé que l'on lui demande au moins son avis.

La grand-mère paternelle de Catherine reste une figure centrale, dans son histoire. Je me doutais de l'accroc avec les Monnoyeur. Ensuite, j'apprends que cette dame avait été veuve très tôt. N'ayant eu qu'Armand, elle a fermé sa coquille autour. Armand s'en sentait tellement étouffé, que c'est là le motif de leur émigration aux États-Unis. Puis elle s'est occupée de Catherine, chose que maman ne voulait pas.

Nous avons parlé d'un peu de tout. Dans le désordre, et parfois dans l'ordre. Je me rapelle difficilement tout ce que j'ai ressenti et ce qui s'est dit. Mais il y avait des moments notables:

Le nez. Catherine et Marion ont un nez peu ordinaire. Il embêttait un peu Marion. Il est hérédité de Bernadette. Et selon Catherine, cela aide à mieux l'accepter.

Maman avait financé des études de piano à Catherine aussi. Cela ne lui dérangeait pas, malgré les difficultés financières qu'elle subissait.

Catherine a remarqué que Jacques Marchand portait le même nom de famille que Bernadette. Pourtant étant plus jeune, il aurait dû porter le nom du mari de Henriette Pierrette. Voilà des neurones de Catherine qui se substitutent aux miennes inactives... Question qui restera à élucider. Catherine écrira. Moi aussi.

Bien sûr, nous avons lu les archives, regardé les photos. J'ai pris connaissance de nouveaux documents. Catherine, elle, a plutôt été submergée.

Nous avons visionné du vidéo. Belle invention. Catherine a pu compléter sa connaissance de maman avec quelques bribes de sa vie. Et retrouver en Arianna une ressemblance assez particulière avec ses photos de jeunesse. Je reste convaincu que maman ne pouvait avoir oublié Catherine. Même si Catherine s'interroge sur le pourquoi de trois voyages ('70, '84 et '95) en Europe sans contacter Catherine. En fait, personne ne le sait, ni le saura, si tentative il y a eu.

Nous avons écouté l'archive de Catherine petite - ses premières paroles - des bandes magnétiques que j'ai fait transférer sur CD. Confirmation qu'elle avait le français comme langue maternelle, ce dont Catherine doutait. C'était drôle de voir le chien qui écoutait attentivement cette voix qui sortait de l'ordinateur. Reconnaissait-il l'origine de cette voix ?

Plus tard, un moment des plus tordants, surgit de ces enregistrements vieux de quarante ans. Plus tôt, j'avais noté qu'il y avait erreur dans son album de photos au sujet de l'addresse indiquant où elle avait vécu: le 281 Harvard street. Je disais que non, c'était moi au 281, elle c'était le 331. Chacun a fait son plan du logement pour appuyer sa thèse, sans rien résoudre: les deux constructions datent de la même époque avec une superficie de bâtiment identique... Quelques correspondances semblent appuyer une thèse en particulier. Puis, au cours d'une leçon d'anglais, heureusement enregistrée, Catherine de 4 ans répond à la question de maman "Where do you live?", avec une voix à la Tweety Bird:

tee-tee-one Avad Steet !

On s'est roulé par terre, sur celle-là. Catherine en plus rouge!

La vie de Catherine a véritablement pris de grands tournants en 1967. Elle s'est rendue compte qu'elle n'avait pas de parents. Qu'elle devait regarder la vie en face, toute seule, sans appui. Même le jour de son marriage, il n'y avait que sa grand-mère paternelle dans son clan.

Armand n'est venu que deux fois en France. Deux expériences qui m'ont été traduites comme des évènements insolites , voire froids.

Armand n'a jamais invité Catherine, ni ses enfants, aux États-Unis. Il a vraiment taillé net son passé.

Armand s'est aussi défilé des questions funéraires et autres, suivant le décès de sa mère, en faisant une procuration à Catherine. Il ne s'est pas présenté à l'enterrement. Dans ce cas, comme les précédants, "il y avait toujours un prétexte".

Catherine a aussi fait son chemin de croix avec un parent cancéreux. Elle a accompagné et soigné à domicile, sa belle-mère.

* * * * * * * * * * * *

Marion a pris contact avec son grand-père il y a environ deux ans. Elle a fait beaucoup de recherches. Elle a eu de longues lettres en réponse à ses missives. Mais pas d'invitation aux États-Unis, ou quoi que ce soit. Elle voulait aussi retracer sa grand-mère; Catherine s'est laissée convaincre à l'idée, mais n'avait pas encore entrepris de démarches... Là j'ai peur qu'Armand m'ait menti quand il disait ne pas connaître le nom de mariée ou le lieu d'habitation de Catherine...

L'oncle d'Amérique, frère, soeur... Je n'utilise pas le terme 'demi-'. Je me suis rendu compte dans cette journée que je me considère proche de Catherine - une soeur, mais le filles de Paul ne sont à peine des demi-soeurs pour moi.

Enfin, me raccompagnant à la gare, avec cadeaux pour ses neveux, je lui montrais son bracelet de bébé, que j'avais trouvé chez ma mère et que je conservais dans mon portefeuille. Elle m'a rappellé le lendemain pour me dire que c'est là qu'elle a craquée, qu'elle a été touchée. Pour moi, cela a été lorsque Catherine m'a dit que Marion lui avait demandé à son retour de la gare, 'Quand est-ce qu'on le revoit?'

Que nous reste-t-il à rechercher ?

Pour Catherine, des éclaircissements auprès de Armand, et de ce fameux épisode où il y a eu changement de garde de l'enfant. J'avais déjà indiqué que je passerais fin-septembre; maintenant je travaillerais en fonction de Catherine.

Pour moi, et ici Catherine a pris le relais, en savoir plus long sur Bernadette, sur ses débuts et comment elle vivait le fait d'être adoptée chez les Monnoyeur. Et puis sur ce marriage: sur quoi était-il fondé au juste ?

Je dois passer à Montréal et aux États dans quelques temps. J'amènerais photos et vidéos! Et j'ai hâte d'humer l'automne chez nous!

Jérôme