Une vie après sa mort | ||||||||
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Lundi 13 septembre 1965 Chers amis, J'espère que vous me pardonnerez ce long silence. J'aurais bien voulu pouvoir vous annoncer de meilleures nouvelles. Malheureusement j'ai eu beau attendre, rien n'a changé aux évènements que j'appelle de dernière minute. D'abord mon entrevue à la cour à deux reprises. Le jour annoncé dans ma lettre de juin, puis 10 jours plus tard. Car tout ne se déroulait pas aussi facilement qu'il en aurait dû être. Je ne tiens pas tellement à en parler, car par la suite d'autres évènements sont venus s'ajouter pour conclure 9 années de perdues; sans même avoir une certaine assurance d'assurer une pension alimentaire pour Jérôme, son père m'a vraiment dégoûtée.... et si je garde encore un souvenir, depuis notre dernière entrevue, il s'est brisé quelque chose en moi, j'espère cette fois pour de bon. Paul n'a pas voulu payer une pension jusqu'à la majorité de son fils, comme il est ici la coutume. Comme lui est devenu américain, et que moi je restée française, il a été assez facile, je me doute, de me faire rouler. Il a quand même déposé une somme d'argent dont je ne vous dit pas le montant, cela vous paraîterait beaucoup et en réalité, dans 5 ans il ne restera rien... et Jérôme 8 à 9 ans. Depuis deux ans, je n'ai jamais cédé. Il fut d'accord avec le juge lors de la dernière entrevue, que j'arrêterais qu'à la condition formelle, que cette somme me soit donnée afin de servir en accompte sur l'achat d'une maison. Ceci au nom de mon fils évidemment. Nous nous sommes donc quittés sur ces dernières paroles. Je me suis mise en quête d'une maison, Plus j'attends, moins d'argent il resterait et j'ai trouvé; une vraie chance, conditions excellentes, mais le prix un peu plus élevé que je peux me permettre. La maison étant dans des conditions formidables, cela vaut bien la différence et moins de soucis de réparations, une femme seule... vous comprenez! De fil en aiguille, au moment de me faire verser l'argent, après accord avec mon avocat, un ami français qui a vu la maison et un ex-ami de Paul qui me prête la différence afin d'obtenir un prêt pour la maison; payable en 20 ans. Ce sont deux ex-amis de Paul qui m'aident - eux savent la vérité. Nous sommes retournés en cour pour se faire entendre [dire] par le juge qu'il ne donnerait jamais de l'argent - que mon avocat lui prouve qu'il y ait eu un cas semblable au mien: "Je veux bien, être un cas unique. Neuf ans de patience et jamais un blâme contre celui qui n'hésite même pas à ne pas aider l'avenir de son enfant". C'est le grand père qui a jusqu'à maintenant payé pour Jérôme. Cela me fait beaucoup de peine, mais aussi, peut être lui et sa femme surtout ont-ils contribués à une mésentente entre Paul et moi. Paul étant sans caractère, vous pouvez voir le résultat. Si tout s'est terminé entre nous c'est que Paul quittait l'état du Massachusetts pour le Colorado, où il périra d'ennui. Pour rester à l'école de médecine, je me demande s'il est bien sain d'esprit, après deux doctorats et 3 années d'enseignement, 5 ans d'école de médecine + 3 d'internat, il me semble bien tard pour commencer une carrière. Ce n'était sûrement pas ses projets lorsque nous étions ensemble. Maintenant en restant étudiant toute sa vie, il y a des bourses... Cela retarde le moment d'affronter les réalités de la vie. Personne ne lui rend ce service de lui faire réaliser ses responsabilités, le grand-père en payant la pension de son petit-fils, etc... vous me comprenez. J'ai et je n'avais pas besoin qu'on me le dise: la confirmation que son mariage ne marche pas du tout. Je connaissais trop bien Paul, pour m'en être aperçue moi-même. Il a beaucoup vieilli ces deux dernières années, et surtout, il n'a plus le visage heureux que je lui connaissais quand nous étions ensemble. La vie est mal faite, quelque fois. La femme n'est pas bien, et je prie Dieu qu'ils n'aient pas d'enfants malsains. Quelle perdition quand on voit Jérôme, le beau gosse, non que je veuille me vanter, mais c'est vrai. Et en plus, pas sot du tout. Terrible, et même caractère que son papa. Mais j'y mets le haut-là. Même si quelque fois cela me fend le coeur, mieux vaut lui faire voir avant que trop tard. Peut être ai-je tort, j'écoute mon coeur, et mon intuition, comme dans toute chose dans ma vie jusqu'à maintenant. Voilà, pour une des raisons, qui font que j'ai regardé à deux fois avant de partir pour me rendre auprès de vous. Le deuxième est que 2 semaines après être passée en cour, j'ai été renvoyée de mon travail à l'Université. J'ai pensé à un moment que cela aurait pu être Paul. Il n'en semblerait rien. Ceci sans explications, vous parlez du choc reporté à la recherche d'un nouveau 'job'. J'en ai marre, croyez-moi. En plus, on m'a fait rester jusqu'à la dernière minute soit juillet 31, je devais prendre mes vacances le 15 août. 6 semaines d'endurance et de dégoût, une fois que vous vous savez indésirable. Le motif: la jalousie, aucun autre peut être à supposer. Je suis partie le 31 au soir sans dire au revoir. Je ne le pouvais pas. Je n'ai même pas cherché à retourner au service du personnel afin de me faire donner un autre emploi. Déjà il y a un an, cela s'était terminé dans des circonstances analogues. Mais là, on supprimait un budget pour des recherches et mon patron s'est montré le plus embarassé, m'ayant fait donné la parole de rester 3 ans avec lui. Le sachant hors de question, nous sommes restés tous en bons termes. Cette fois il n'en est pas de même. J'ai été d'une froideur cassante. J'apprends à me défendre, mais je l'ai amère. L'Amérique est un pays cruel et les lois sociales non existantes. Comme j'ai toujours été employée dans l'enseignement je n'ai pas droit au chômage, donc aucune ressource. Qu'est-ce qu'il faut faire... une balle dans la tête, non? Je vous asssure, que seul Jérôme m'empêche de faire des bêtises, et aussi , me reste mon éducation religieuse; je ne veux voir que voeux qui me sont sincères. Peu, il est vrai, mais ces temps derniers avec l'histoire de cette maison, j'ai vu deux hommes, deux amis du père de mon fils, l'un que je connais depuis 8 ans, l'autre 7 ans, faire ce qu'ils peuvent pour me voir sortir de l'ornière où je suis depuis 1960. Et même avant peut être. Cela donne un peu de beaume au coeur, croyez-moi. Vos lettres sont toujours tellement appréciées, quelques fois il m'arrive de vous considérer comme parenté. Ce qui me ferait également beaucoup de plaisir, c'est si je recevais du temps à autre un mot de mon voisin de fauteuil au Concerts de Prague.... même dans un mauvais français ou allemand, et même tchèque, je pourrais toujours trouver, quelqu'un pour me traduire dans le département des langues slaves - ici à l'université j'ai beaucoup de connaissances. Mon amie Kathy, son mari, sa soeur et belle-soeur ont passés une semaine chez moi, juste pour l'anniversaire de mon fils - 4 ans déjà... donc je n'étais pas seule pour cette occasion, même si je l'ai été pour les précédents. Alors faisons confiance pour l'avenir ? |