Une vie après sa mort | |||||||||
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Vers minuit heure de Montréal, j'essayais pour le nième fois à téléphoner mon père. Je ne tenais même pas la cornette près de l'oreille, sachant que c'était un coup d'épée dans l'eau. Je m'attendais à entendre son répondeur. J'étais plutôt occupé à préparer mes valises direction Milan, qu'à m'attarder au téléphone. Petite surprise: une voix qui me semblait désormais familière, mais plus claire, moins mécanique et qui dit la parole 'Machotka'. C'était pas ça le message enregistré... Drinnng.[quelque chose] Machotka.Bonsoir, Pavel Machotka ?oui...C'est bien Pavel Machotka ?oui.Bonsoir, je suis Jérôme Camus.oui...[sentant qu'il n'avait pas fait la connexion...] Il a comme un accent british (ou plutôt une prononciation british) mêlé avec un autre accent, dont je ne saurais la provenance, avec une construction de langage bien américaine. J'ai justifié mon appel, disant que je tentais de m'expliquer le passé, après le décès de ma mère. Puis, il y a eu une pause. Lucidement, malgré que c'était prévisible, il mentionne que ni l'un ni l'autre ne savions comment faire avancer la conversation. Il a donc pris l'initiative et a posé des questions. (Sa formation professionelle en psycho lui aura servi...) Sur ma mère et comment elle avait vécu. J'ai commencé par la fin en lui disant que toutes les infirmières de l'hopital où elle fut soignée savaient qu'elle ne l'avait jamais oublié et qu'elle l'aimait encore. Un peu méchant, certes, mais aussi d'une concision sans pair... En bout de ligne, c'est lui qui a tiré plus d'informations de cette conversation que moi. Mais cela m'était égal. Mon meta-niveau fonctionnait à plein régime. Je savais où se trouvait ma barque et comment la naviguer. Il évitait de se mouiller. Sa phrase favorite fut 'Je n'ai pas d'information à ce sujet. Et lorsque j'ai révélé que j'avais ma famille et du travail en Italie, il n'a pas bronché. Il n'a pas mentionné l'Ombrie. En fait, quand il voulait que l'on poursuive ce contact ultérieurement, il a toujours référé à mon éventuel passage en Amérique... Sans référence qu'il vienne souvent en Italie. Et sur ce je l'ai piégé: en donnant mes coordonées, j'ai mentionné qu'il y avait des nouvelles séquences de composition téléphonique pour l'Italie. Il a enchaîné immédiatement avec: "ah, oui, comme partout en Europe". Il a aussi menti. En le questionnant sur les motivations de ma mère d'avoir abandonné Catherine, son 'pas d'information à ce sujet' ne tient pas la route. Il était présent quatre ans avant l'évènement et deux ans après, non? Une petite idée, il a dû se la faire. Il s'est enfargé aussi. Quand j'ai dit que j'avais deux enfants, pas nécessairement planifiés, mais étant la plus belle chose qui me soit arrivée, il a instinctivement réagi en souriant et en disant 'Oui, je comprends cela très bien'... Mais les cinq secondes suivantes de silence, que je n'avais aucune intention de rompre, furent suivies par '... si vous comprenez ce que je veux dire'. Je n'ai pu qu'enchaîner, sans hésitation: 'bien sûr!' Enfin, il m'a demandé de le tenir informé si je trouvais Catherine. Il trouvait qu'elle avait été '...plutôt négligée'... En raccrochant, l'évidence m'a frappée comme la ruade d'une mule en plein front: s'est-il penché un instant sur son propre comportement? En fait, la seule chose que j'ai vraiment appris - ou plutôt confirmé- c'est que ma mère avait été adoptée et qu'elle était au courant. À partir de quel âge, cela reste à voir. Et elle était bien dans une famille Monnoyeur. Avec un fort lien avec Magda. Mais Paul disait que ma mère n'en parlait pas... Voilà. Une conversation bien chargée... Jérôme |