Une vie après sa mort | |||||||||
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Heureusement qu'il y a le bruit de fond des Jeux de Nagano. Cela m'empêche de sombrer continuellement dans une tourmente qui tangue entre de la douleur qu'a dû vivre ma mère et cette histoire cachée derrière l'horizon qui traite de Catherine. Et la culpabilité a posteriori d'en avoir été épargné pendant tant d'années. J'ai tellement de choses à faire, tellement d'objets à trier, à traiter, à liquider, à conserver, à empaqueter. Avec un temps quand même limité. Je dois attaquer de front l'entrepôt. Une pièce remplie de caisses, de choses que je sais vieilles dont je savais depuis des années que j'aurais tôt ou tard l'obligation de m'y intéresser sérieusement. L'échéance est maintenant arrivée. Des caisses et des caisses de livres qui doivent suivre le même processus: triage en trois catégories - recyclage, don, conservation. Par surcoît, au vu de ce que j'ai découvert, il faut tout passer au peigne fin pour en extraire les documents d'intérêt. J'ai eu un autre déclic, en re-fixant des documents de Catherine. Je trouve bien curieux que cela me prenne du temps à réaliser des choses qui pourtant relèvent de l'évidence même, puis je me rappelle qu'il n'est pas anormal d'être ainsi lent, étant submergé par un flot de nouveautés. Encore le cas de neurones qui ne se parlaient pas... qui n'avaient pas eu la chance d'être mis en rapport l'un avec l'autre avant ce jour. Mais qu'est-ce que ma mère a du ressentir, en Avril 1995, quand je lui ait annoncé qu'elle deviendrait grand-mère de Arianna le 12 novembre 1995? S'est-elle rappellée que Catherine est venue au monde un 11 novembre? Et si Catherine fut née en France, serait-ce le 12 novembre compte tenu du décalge horaire? Comment a-t-elle fait pour me cacher l'émotion? Tu as vu les reprises video... je n'en reviens tout simplement pas. Maman ne pouvait pas avoir oublié cette date. La preuve, à mes yeux, est que j'ai un ami de classe qu'elle n'a jamais rencontré, mais dont elle me rappelait assez fréquemment sa date d'anniversaire... le 11 novembre... Je me rend aussi compte de son attachement profond à Arianna. Elle déclarait vouloir un petit fils. Elle en a eu un, mais il a fallu passer par Arianna d'abord. Son attachement à Arianna m'a toujours frappé comme étant particulier. En regardant les photos, c'est clair: Arianna aussi est blonde aux yeux bleus. Née avec un peu de retard sur l'échéancier du 12... Elle bavarde. Tel que les lettres d'Armand Camus font état... J'y vois peut-être ce que je veux y voir, mais ce sont là des faits objectifs. Une douleur supplémentaire qu'à dû vivre ma mère m'assaille. Comment faire pour tenir tout cela en-dedans? Pendant plus de trente ans ? Je ne peux pas m'empêcher de croire que cela devait être identique au cancer qui lui a rongé la vie. Ou est-ce que ce sont deux manifestations de la même chose ? Puis une autre peine déferle, aussi douloureuse, sinon plus, que les précédantes. Ma mère semble s'être séparée de Catherine quand elle avait 9-10 ans. Avec moi, maman a fait la même chose. Sauf que dans mon cas, j'étais bien plus proche et le contact continu. Ma mère avait choisi de m'envoyer à Montréal pour poursuivre une éducation en français. Par extrapolation, il serait tout à fait cohérent que ma mère ait voulu une éducation en français pour Catherine aussi. Quelques correspondances le confirment: questions du père sur les progrès de Catherine, commentaires de ma mère sur la désormais bonne qualité de son français... Enfin, ma mère à toujours maintenu un chauvinisme en faveur de tout ce qui est franco-français.
Ma mère soutenait aussi que je commençais à être difficile, que je rentrais en crise d'adolescence. Sans y enlever de la validité, je ne peux m'empêcher de me rappeler les crises, les dégelées que je me suis prises et la perte de respect que j'avais alors développé envers ma mère. Elle ne me semblait plus la même personne. Mais si elle voyait un échéancier où elle se sentait obligée de m'envoyer au loin, je peux comprendre son désarroi après ce qu'elle a vécu avec Catherine. Après avoir vécu d'inombrables problèmes de logement, de travail et surtout de santé pour toutes les deux en 1958-59, je conçois qu'elle ait hésité à quitter Cambridge et la maison, source de revenus. Et pour le bien de l'enfant, lui donner une éducation à la mesure de ses espérances. L'option québécoise, dans mon cas, malgré qu'elle n'était pas considérée a priori, a dû la soulager quand elle s'est révélée... Je vogue dans ces idées, pas toujours réjouissantes, mais qui commencent à me faire comprendre qui était maman. Je t'embrasse Jérôme |