Une vie après sa mort
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générations
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boucles

Sujet: Je rentre après demain
Date: Mercredi 18 février 1998 22:06:33 -0500
De: Jérôme
à: Silvana

Je vais rentrer après-demain. Ici, j'ai les choses urgentes sous contrôle. L'appartement ne peut être libéré qu'en mai, alors... Ça fait bientôt un mois que je suis là...

Errant sans direction, j'essaie de continuer avec mes tâches immédiates. J'ouvre une malle. Elle contient des objets intéressants. Une poupée, qui m'est inconnue. Des chaussures et des sneakers d'enfants que je n'ai jamais portés.

Tiens, cela me reviens maintenant. Je n'ai pas vu de jouets pour l'extérieur, que des jouets d'intérieur. Je me demande si c'était pareil pour Catherine... Ma mère ne me laissait pas jouer dehors, ou rarement. Les enfants du coin? Je n'en connaissais qu'un: il avait mon âge mais était diabétique. J'avais déduit que Maman avait un faible pour lui.

Qu'est-ce que c'est d'être diabétique?
C'est un maladie. Il ne peut pas prendre de sucre, sinon il va être très malade.
Ça veut dire qu'il ne peut pas prendre de dessert?
Non. Tu ne peux pas lui donner de bonbon non plus, sous aucun prétexte.
Behh... je n'en ai pas tant que ça...
Et en plus, il faut qu'il ait un piqure tous les jours.
Tous les jours? Pour toujours?
Oui. D'ailleurs, si tu joues avec lui et que tu vois qu'il est mal, vas tout de suite le dire à sa maman ou son papa. Et si il doit rentrer pour sa piqure, tu le laisses faire. Tu ne l'entraînes pas ailleurs ou dans un autre jeu et surtout tu ne laisses personne d'autre l'entraîner ailleurs...
* * * * * * * * *

Cette malle, ces documents, rangés de telle manière portent à croire que ma mère savait que je découvrirais toute cette histoire ... à moins que je ne jette tout sans rien consulter. Mais comme ce n'est pas mon genre...

Cela fait trois jours que je me posais l'hypothèse. Les découvertes récentes me donnent la conviction que tout ceci fut planté-là, à une certaine époque. Une époque lointaine. Dans les dernières années, maman n'avait pas la force d'aller chercher les dernières boîtes - là au fond - pour y planter les preuves. Non. Mais quand elle a déménagé de Boston, elle les a emballées pour les emener avec elle. Puis d'un logement montréalais à l'autre, elles ont été re-déménagées. Enfin, dans ce dernier logement, elles ont été soigneusement rangées dans un ordre voulu, il y a plus de dix ans de cela. Je ne dis pas qu'à la fin son désir n'ait pas changé; mais il est clair qu'elle n'avait certainement pas la force d'une excavation de caisses remplies de livres et de papier afin de s'en débarasser. Mais à une certaine époque du moins, elle voulait que je découvre tout cela.

J'ai aussi la certitude que certains documents ont été réarrangés à la fin des années '80: maman a utilisé des enveloppes qui provenaient de mon lieu de travail de l'époque.

La seule surprise fut une lettre de la fin des années cinquante. C'était au sujet d'un emploi éventuel qui s'est concrétisé. Le document est signé par un M. R. Higonnet. À l'école primaire, j'avais un ami, un seul, le seul qui soit passé au travers des filtres que maman imposait: Phillippe. Une liste de parents retrouvée quelques heures plus tard indique que son père s'appelait Patrick Higonnet. Ne croyant pas aux circonstances, j'y vois les fils de sa vie qui s'y tissent.

Sinon, je fais des hypothèses, des observations... j'essaie d'analyser.

Il ne semble que Magda soit bien sa soeur... Les histoires restaient trop cohérentes pour être inventées de toute pièce:

"Je m'en souvienderait toujours. Mon père m'a giflée qu'une seule fois. Mais alors bien. Il me reprochait d'être sortie tard avec des amis. Pourtant, je ne sortais pas souvent. Mais le pauvre, il s'était trompé: je suis restée devant la maison à parler longtemps avec mes amis et il ne s'en était pas rendu compte. "
"Nous formions une famille nombreuse. J'avais trois soeurs. J'étais la plus jeune. Il y avait une grande différence d'âge entre nous. Ce qui fait qu'il y avait des neveux, des nièces, un peu de tout, de tous les âges. J'avais même une nièce de mon age. Ma soeur avait vingt ans de plus que moi. C'est elle presque qui m'a élevée..."
"Tu sais, ce n'est pas beau se plaindre. Tu devrais te rendre compte de ce que tu as. Il y en a d'autres qui ont bien moins que toi. Par exemple, pendant la guerre, il n'y avait pas grand chose à manger. On mangeait des rutabagas... Tu te rends compte! Quand je suis arrivée en Amérique et que j'ai vu que l'on vendait cela dans les supermarchés, alors que pour nous, c'était quelque chose que l'on donnait aux cochons!"
Qui peut maintenir tant de mensonges aussi cohérents pendant plus de trente ans?

* * * * * * * * *

Enfin, d'autres neurones se mettent à collaborer. Les dix ans d'âge cachés par maman ont peut-être un autre motif. Le désir d'effacer Armand - et peut-être sa conséquence, Catherine - deux histoires qui n'ont pas eu un cours heureux...

Je suis un peu épuisé, ça va faire beaucoup de bien de rentrer,

Jérôme