Une vie après sa mort | |||||||||
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J'ai développé la conviction, devant la masse de photos et de souvenirs de Catherine, que ma mère était heureuse avec. Alors, que s'est-il passé ? Drame ou séparation forcée, je ne réussis pas à départager. Je ne ressents que de la douleur. Je sais ce qui m'en coûterait de perdre Arianna ou Aubert. Comment a-t-elle vécu la chose ? Comment a-t-elle pu garder cela à l'intérieur ? Mais pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Aucune allusion, aucun indice... Maman avait des croyances qui m'étaient curieuses; elles semblait incohérente et en même temps elle dégageait une certaine logique. Elle n'aimait pas le mensonge: "Tu sais, ce n'est pas beau le mensonge." Une phrase souvent répétée avec un air de tristesse.Mais pourquoi?"Ce n'est pas facile à expliquer. Le mensonge ça trompe et on ne se comprends pas ensuite." Parfois, la conversation continuait, car elle enchaînait avec : "Mais c'est parfois nécessaire."Ah bon? Comment?D'abord, il ne faut pas mentir pour les petites choses, c'est bête... c'est inutile. Si tu te fais prendre en plus, t'as l'air plus bête encore! Ce sont seulement les choses importantes, les grandes choses qu'il faut parfois cacher...Quelle sorte de grandes choses?Je ne sais pas... Vraiment de grandes choses, et seulement lorsque tu n'as le choix de faire autrement, qu'en disant la vérité tu finisse par blesser plus que par le mensonge.Je ne comprends pas... Quelle sorte de grande chose?Et bien... par exemple ton père. Il vaut mieux ne pas trop en parler à certains gens. Il y a clairement le fait du passé de ton grand-père en Tchécoslovaquie; pour toi, tu sais qu'il y a un risque. Et puis, sa situation, sa vie sont compliquées... Si tu en parles, alors les gens vont poser d'autres questions et ça ne finira plus et tu n'aura pas les réponses. Les gens finiront par inventer leurs propres réponses et se faire une idée qui n'est pas juste. Maman m'a toujours dit que j'avais des demie-soeurs du côté de mon père. Mais jamais de l'autre. Catherine faisait donc certainement partie des choses importantes pour elle. Alors, quelle était la blessure à éviter? Je sais seulement que ma mère m'a dit cela vers 1968-69. Le silence couvrait-il un état de fait où plus rien ne pouvait changer, et donc parler n'aurait soulevé que peines et douleurs? Huit jours après sa mort, je me rends compte qu'elle n'avait pas entièrement tort tactiquement. Mon caractère volcanique lui faisait peur.
Maintenant je découvre. Sous l'effet du deuil, sans doute, mais avec une impossibilité de me fâcher après elle. Je crois que c'est cela qu'elle recherchait le plus: que je comprenne sans me démonter... Les choses se tiennent, les comportement sont cohérents... J |